Contexte historique
I) Contexte précédant les évènements.
A) Corée des années 1970.
Après la fin de la guerre de Corée, le pays a connu une croissance économique fulgurante. En l’espace de deux décennies, le pays, l’un des plus pauvres du monde à la fin de la guerre, est devenu une puissance économique émergente. Cet accroissement rapide de l’économie se traduit notamment par le développement d’une classe moyenne. De plus, la volonté de monter en gamme dans la production économique se traduit par un poids important des études supérieures. La hausse du niveau de vie moyen, le développement de l’instruction ainsi qu’un tropisme, bien que forcé par la situation géopolitique, vers les pays occidentaux et surtout les Etats-Unis, se traduisent également par des aspirations démocratiques qui entrent en conflit avec le modèle en vigueur. A cela il faut ajouter que la génération qui constitue le gros des manifestants, est celle des enfants nés après-guerre, qui ont grandi avec la croissance économique et se retrouvent à l’université, dans une trajectoire de vie très différente de leurs parents pour la plupart. On peut comparer cette situation avec celle qu’ont connu beaucoup de pays occidentaux dans la fin des années 1960 et le début des années 1970 avec de forts mouvements étudiants, portés par une jeunesse d’après-guerre, accédant aux études supérieures. On peut penser ici à Mai 1968 en France, mais également plus proches de la Corée au mouvement de 1968-1969 au Japon.
B) Park Chung-Hee et la constitution Yushin.
Arrivé au pouvoir après un coup d’état militaire en 1961, Park Chung-Hee devient le premier président de la Troisième République de Corée. Il s’agit d’un régime politique autoritaire, restreignant les libertés publiques et mettant l’accent très fortement sur un développement économique et une industrialisation à marche forcée du pays. Réélu pour la troisième fois en 1971, dans une élection serrée, il proclame l’état d’urgence et dissout l’assemblée. Il met alors fin à la Troisième République et instaure la constitution Yushin et la Quatrième République. Cette constitution a notamment pour effet de changer les conditions d’accession à la présidence, celui-ci étant désormais élu par la Conférence National d’Unification. La réélection perpétuelle de Park Chung-Hee est assurée par de nombreuses barrières à l’entrée, empêchant tout autre candidat sérieux de s’opposer à lui. Il n’y a également pas de limite à la reconduction des mandats. La constitution Yushin marque également un tournant plus autoritaire encore avec des suppressions supplémentaires des libertés publiques, ainsi qu’une répression accrue de ces adversaires politiques. Park Chung-Hee est élu président pour la quatrième fois en 1972 et enfin pour la cinquième fois en 1978, soit un an avant les évènements.
C) Les événements de l’été 1979.
L’été 1979 a été marqué par la grève des travailleuses de la YH trading compagny contre la fermeture du site à Séoul. La grève est soutenue par le dirigeant du principal parti d’opposition, Kim Young-Sam, qui accueille les grévistes dans les locaux du Nouveau Parti Démocratique. Les grévistes sont délogés du bâtiment par la force par la police, aboutissant à la mort d’une des grévistes. Kim Young-Sam est par la suite relevé de ses fonctions de dirigeant du parti, puis renvoyé de l’assemblée en octobre 1979, notamment pour un article dans le New York Times invitant les Etats-Unis à cesser le soutien au régime de Park. La conséquence de ce renvoie est la démission de l’ensemble des membres de son parti de l’assemblée. La situation en octobre 1979 est donc celle d’un état autoritaire, dont les derniers simulacres de démocraties disparaissent.
II) Le mouvement Buma.
Le mouvement Buma est un ensemble de manifestations sur cinq jours entre le 16 et le 20 octobre 1979, dans les villes de Busan et de Masan. Les revendications de ce mouvement étudiant concernaient principalement une demande de démocratisation, une opposition au régime de Park Chung-Hee et une amélioration générale des conditions de travail et d’existence.
Le mouvement est né dans la Pusan National University, organisé par des étudiants. Le 15 octobre des premiers tracts sont distribués au sein de l’université.
Le 16 octobre, d’autres tracts sont distribués et appel à la mobilisation le jour même, parmis les revendications des étudiants, on retrouve la mise en place d’une politique de croissance stable, la répartition équitable des revenus, l’abolition des inspections des académies et du camp scolaire, la garantie de la liberté d'association, de rassemblement et des médias, l’interdiction des propriétaires d’entreprises anti-éthiques, l’arrêt de la répression politique, l’abolition de la constitution de Yushin ou encore la démission du président Park.
Le même jour sont également placardés des affiches invitant à la mobilisation. L’appel aux étudiants du 16 octobre a une place importante dans la mémoire de l'événement.
Le texte est le suivant :
"Jeune étudiant. Que faites-vous maintenant ? Notre pays pourrait-il être laissé seul même s'il est torturé par un dictateur grincheux ? Les dirigeants de ce pays crient souvent à la nation et parlent de l'avenir de la Corée, mais qui est vraiment celui qui donnera sa divinité pour l'avenir éternel de cette nation et de cette nation ? Jeune étudiant ! Revenez sur la série d'événements qui se sont produits récemment ...
Jeune étudiant ! S'il vous plaît, la passion qui se refroidit, la faible vérité qui est oubliée, et la raison est encore une fois chaude, vraiment chaude ! Avec un sens de la mission et des responsabilités en tant que jeune intellectuel vivant dans une époque trouble, nous devons tous allumer le flambeau de la vérité et de la liberté !
Tous les gens de Hyowon, aujourd'hui, sont enfin là ! 16 octobre 1979 à 10h00 à la bibliothèque !"
Le 17 octobre est marqué par une prise d’ampleur du mouvement et un caractère insurrectionnel, avec notamment des attaques sur la station de police Chungmu, le KBS et le bureau de taxe de Busan.
Le 18 octobre, la loi martiale est proclamée à Busan. Après les émeutes de la veille on observe une reprise en main très violente de la part de la police avec le renfort de l’armée. On compte les premiers cas d’usages de torture par les forces de l’ordre.
Le mouvement s’étend à Masan le même jour, selon les mêmes mots d’ordres et en solidarités des manifestants de Busan. Les manifestations, dans le même schéma, démarrent à l’université de Masanhappo-gu, et sont constituées d’étudiants, rejoints par des lycéens et des travailleurs.
Les manifestations continuent le 19 octobre malgré la répression, et sont finalement écrasé le 20 octobre, avec l’usage du « Garrison Act » à Masan, qui permet l’envoie de l’armée sur ordre du président sans consultation de l’assemblée.
III) Conséquences et Mémoires
A) Conséquences
Après la fin des manifestations, la répression continue, avec la recherche de certains manifestants par la police, et l’organisation de tribunaux militaires pour juger les leaders du mouvement.
Cette répression s’arrête brutalement avec l’assassinat de Park Chung-Hee le 26 octobre 1979. Lors d’un dîner en ville en compagnie du chef de la KCIA, le service de renseignement coréen, le président Park est assassiné par ce dernier. Il s’agit d’une tentative de révolution de palais, qui échoue quand l’appareil d’état refuse de suivre le chef de la KCIA, il est alors arrêté et jugé. Lors de son procès, il évoque la situation sociale du moment pour expliquer sa tentative de coup d’état.
Le mouvement Buma s’inscrit également dans un temps plus long dans la ligné du mouvement démocratique, avec le soulèvement de Gwangju l’année suivante, rendu célèbre par le massacre des manifestants par l’armée, ainsi que le mouvement démocratique de Juin 1987 qui verra l’avènement de la Sixième République de Corée.
B) Mémoires
Une des particularités du mouvement Buma est le fait que sa mémoire a été longtemps occultée. Les premières commémorations d’envergure, la reconnaissance de l’état de son rôle dans les affrontements, etc, ne se sont faites que très récemment. On peut expliquer ce manque par différents facteurs. Tout d’abord par la proximité de l’évènement avec d’autres qui ont davantage marqué la société coréenne : l’assassinat de Park Chung-Hee en premier lieu, ainsi que le soulèvement de Gwangju, dont le massacre a été beaucoup plus largement couvert médiatiquement et a laissé un souvenir beaucoup plus fort par son ampleur dans la société. Le massacre et le soulèvement de Gwangju ont ainsi été reconnus assez rapidement après l’avènement de la Sixième République. L’image de la révolte étudiante dans l’inconscient collectif coréen est davantage liée à Gwangju ou au mouvement de juin 1987, qui ont plus durablement marqué la société coréenne. A cela s’ajoute la question de l’héritage de Park Chung-Hee. Sa fille Park Geun-Hye a été présidente de la république entre 2013 et 2017, et son « impeachment » à la suite de scandales de corruption. Elle avait en effet construit une partie de sa légitimité sur la figure de son père, et le poids de cette famille dans la politique coréenne a pu rendre plus difficile une réflexion complète sur les évènements de Buma.
L’arrivée de Moon Jae-In au pouvoir change drastiquement la façon de voir le mouvement en Corée du Sud. Il a tout d’abord abrogé le « Garrison Act », qui était jusqu’alors encore présent, même s’il n’a pas été réutilisé après le mouvement Buma. Ensuite, lors de l’anniversaire des quarante ans du mouvement avec des commémorations en grande pompe, et la reconnaissance de l'État de sa violence et du rôle du mouvement dans la lutte démocratique.
